Marie Nussbaum

Vaincre quoi ?

En tant que soignant, peut-on vraiment parler de se battre contre une maladie ou une émotion ? Souvent, nous entendons ou nous voyons des affiches recourir à l’usage de ce terme dans le contexte de la lutte contre l’autisme, la mucoviscidose, le cancer ou le diabète. A plus petite échelle, nous l’entendons dans les discours contre les peurs ou la solitude.

Ce langage guerrier ne contribue-t-il pas à une vision dichotomique du monde divisant les forts et les faibles, les vainqueurs et les vaincus, les survivants et les disparus ? Une telle rhétorique peut-elle emprisonner la maladie ou l’émotion dans un récit binaire, où ceux qui succombent sont perçus comme ayant mal combattu ?

Elle supposerait que le courage peut se mesurer, que l’endurance est quantifiable, et que la mort, dans les cas les plus graves représente un échec. La non-conquête de ses peurs ou de sa solitude serait alors uniquement due à l’individu lui-même, sans considérer son contexte, son histoire, et ce que son symptôme révèle. Par exemple, le cancer ou le diabète peuvent-il être uniquement perçus comme une guerre contre un adversaire extérieur cherchant à anéantir le patient ? Pourrait-il aussi représenter une part de soi en déroute, un défaut d’un part de soi ?

Naturellement, cela ne signifie pas qu’il faut s’y soumettre, mais il est important de voir cette transformation pour ce qu’elle est : un bouleversement brutal qui nécessite d’être réévalué. La véritable question serait de penser le symptôme comme quelque chose qui n’est pas la personne dans son ensemble, un témoignage, un appel initiant un questionnement. Il s’agirait alors plutôt de savoir comment coexister avec cette part de soi en déséquilibre, tout en continuant à avancer.

La maladie ou l’émotion sont-elles immuables ou peut-on envisager la santé et le bien-être autrement ? Non pas comme un retour à l’état antérieur, mais comme une sérénité retrouvée, une capacité à affronter l’incertitude sans s’y définir dans notre intégralité. La santé devient alors une manière d’être, un équilibre qui ne repose pas sur la perfection organique ou émotionnelle mais sur l’apaisement de l’esprit et la foi en l’avenir ou en tout cas la mise en sens pour quelque chose qui, parfois, apparaît parfois brutalement dans nos vies.

La maladie représente souvent un défaut de quelque chose pour nos patients, une rupture soudaine dans le cours naturel des événements, une fissure dans notre sensation de sécurité quotidienne. Elle détruit notre illusion de constance et nous confronte à une réalité défiant parfois toute logique initiale.

Cependant, au cœur de ce qui peut nous apparaitre absurdité, réside une liberté : celle de déterminer comment vivre avec cette nouvelle réalité, de la comprendre pour pouvoir avancer. Ces épreuves et bouleversements ne nous définissent pas. Il est essentiel de plonger dans les détails de la vie, de s’attarder sur ces instants suspendus où tout bascule silencieusement. Après l’effondrement, on réapprend à marcher vers soi, parfois avec la lenteur de ceux qui réapprennent ou découvre quelque chose d’intime pour s’en sortir grandi. Ainsi, sans être une victoire, cela s’inscrit dans un récit de vie affirmé et signifiant.