Marie Nussbaum

Tomber amoureux via une app

Colloque du GHU de Saint-Anne (Mai 2024): notes sur mon intervention sur « Tomber amoureux via une application »

Mon intervention portait sur le phénomène des rencontres amoureuses facilitées par les applications de rencontres. Nombreux sont ceux, parmi nous ou nos connaissances, qui ont cherché des partenaires—que ce soit pour des engagements à court terme ou des relations à long terme—via ces plateformes, animés par l’espoir et le désir de trouver le partenaire idéal. L’objectif de cette conférence était d’examiner et de questionner les différences potentielles entre les rencontres virtuelles et celles se produisant dans des contextes physiques.

Plusieurs étapes semblent être essentielles à ce processus:

  1. Engagement initial : La phase initiale consiste à créer un profil attrayant, en utilisant à la fois des éléments visuels et des mots soigneusement choisis pour attirer des partenaires potentiels. À l’instar des interactions réelles, cette étape permet aux individus de projeter leurs désirs et de rechercher un effet miroir. Les mots lus peuvent évoquer des perceptions visuelles ou sensuelles de la personne avec laquelle on interagit.
  2. Progression vers la communication directe : Les interactions ultérieures par des conversations téléphoniques ou des appels vidéo facilitent une connexion plus profonde et permettent aux individus de vérifier leurs perceptions et projections initiales.

De nos jours, l’abondance de profils et la rapidité des interactions ont simplifié le processus mais ont également introduit une approche plus calculée, souvent impliquant des considérations statistiques. Plus le nombre d’interactions potentielles est élevé, plus il faut naviguer. Pour certains, cela atténue les peurs de l’abandon, car ils peuvent facilement chercher un autre partenaire si le choix actuel s’avère insatisfaisant. Cela soulève la question de savoir si la recherche d’un partenaire idéal est une tentative de contrôler son destin, plutôt que de le laisser au hasard ou à une puissance supérieure, et si ce processus « objectifie » les partenaires potentiels de la même manière que la sélection de produits en ligne.

Le choix des mots et la présence de fautes typographiques peuvent révéler beaucoup sur un individu, influençant leur attractivité pour les autres. Ce processus de sélection peut aider les individus à mieux se définir et à clarifier leurs préférences en matière de partenaire, réduisant potentiellement le temps passé sur des rencontres fortuites.

À ce stade, être “ghosté” peut déclencher des réponses émotionnelles significatives, en particulier pour ceux ayant des problèmes relationnels et d’attachement préexistants. Il reste à voir si ces expériences virtuelles suscitent des émotions aussi profondes que celles des rencontres réelles.

Les dynamiques familiales se rejouent souvent dans ces interactions, quel que soit l’environnement, virtuel ou physique. La capacité de communiquer avec un partenaire potentiel à tout moment peut évoquer des schémas relationnels primordiaux. À l’inverse, rencontrer physiquement un partenaire dans un club, à la terrasse d’un café, à un mariage ou au marché, impose plus de contraintes quant à l’accès à l’autre.

Cela soulève des questions sur la manière dont le corps est engagé différemment dans les interactions virtuelles. L’excitation somatique peut être ressentie sans la présence physique de l’autre personne et les émotions peuvent être suscitées sans contact visuel direct. En d’autres termes, l’absence de corps physique n’exclut pas l’excitation. La communication textuelle peut sexualiser et érotiser les interactions, passant de la perception visuelle à l’engagement auditif lorsque la communication verbale a lieu.

Il existe des similitudes notables avec les interactions réelles. Indépendamment du succès, le parcours de recherche d’un partenaire (sexuel ou de vie) via des applications dédiées, reflète les schémas relationnels précoces. Bien que l’on puisse initialement penser que les interactions virtuelles offrent une plus grande efficacité et un plus grand choix, les expériences émotionnelles d’excitation ou de deuil ne semblent pas différer significativement des autres formes de rencontres une fois la relation établie.