Marie Nussbaum

Séparation amoureuse et recomposition coparentale

Une lecture psychanalytique

Dans ma pratique clinique, j’accueille de nombreux parents en transition, confrontés aux remaniements qu’implique une séparation. Ce qui revient souvent, ce sont des enfants pris dans des conflits parentaux, parfois latents, parfois ouverts, où chacun cherche à faire entendre son récit, sa légitimité, sa douleur. L’enfant devient alors, consciemment ou non, le vecteur d’un conflit non élaboré. Ce texte propose une lecture psychanalytique de ces situations, pour penser autrement le lien parental après la rupture.

Une rupture aux multiples effets : affects conscients et empreintes inconscientes

La séparation du couple parental engage des transformations profondes. Elle ne se réduit ni à un événement juridique, ni à une décision affective : elle opère une reconfiguration psychique des investissements et des représentations. Chaque parent doit désengager son lien conjugal, tout en maintenant une coparentalité viable.

Ce processus réactive souvent des affects intenses : colère, tristesse, sentiment d’échec, blessure narcissique — mais aussi des angoisses plus primitives, liées à la peur d’abandon ou à la perte d’un objet d’amour. Ces vécus archaïques peuvent ressurgir à travers les modalités pratiques, ravivant des expériences précoces non élaborées.

Exemple clinique : Une mère, récemment séparée, vit la réorganisation des horaires de garde comme une mise à l’écart. Elle exprime que “le père décide tout seul”, et ajoute “comme si je n’existais plus dans l’histoire de mon fils”. Ce vécu de relégation révèle une blessure narcissique, mais aussi une angoisse d’effacement : celle d’être rayée du récit symbolique de l’enfant, comme si sa place de mère devenait vacillante.

De la conjugalité vers la coparentalité : déplacement et rivalité

La fin du lien amoureux ne signifie pas la fin du lien parental, mais implique un déplacement du transfert et de la scène psychique. Sans élaboration, ce déplacement peut dériver vers une rivalité persistante, où la relation coparentale devient le champ de bataille d’une séparation non métabolisée.

Ce conflit peut être alimenté par la crainte de ne plus exister dans la scène affective de l’enfant. L’absence de reconnaissance de l’autre parent crée parfois des stratégies de compensation, où chacun tente de restaurer une position dominante ou exclusive.

Exemple clinique : Un père en séance confie qu’il a du mal à accepter de ne plus faire le bain de sa fille chez la mère. “C’est un moment à nous. Elle m’en prive comme elle veut me couper de notre lien.” Ce discours révèle un attachement fusionnel non élaboré, mais aussi une peur plus profonde : celle d’un effacement du rôle paternel. Le rituel devient le garant du lien, et sa disparition ravive le fantasme d’un amour conditionnel.

L’enfant au cœur du remaniement : loyautés, clivage et symptômes

L’enfant ne cesse pas d’avoir besoin de ses deux parents avec la séparation. Mais pour continuer à se construire, il lui faut un espace symbolique cohérent où ses identifications puissent se maintenir sans clivage.

Lorsque l’un des parents efface ou dévalorise l’autre, l’enfant est pris dans un conflit de loyauté. Il peut vivre une anxiété diffuse, une culpabilité silencieuse ou un besoin de protéger le parent fragilisé. Les effets psychiques se traduisent parfois par des symptômes (troubles du sommeil, agressivité, somatisations) qui manifestent un clivage interne entre ses identifications.

Exemple clinique : Un garçon de 7 ans commence à parler de lui à la troisième personne après le départ du père. Il dit : “Lui, il est triste parce que papa a crié.” Ce mode d’expression révèle un processus défensif : une dissociation émotionnelle qui traduit l’impossibilité de relier le vécu affectif à une parole subjective.

Le rôle du clinicien comme tiers contenant

Dans cette dynamique complexe, le clinicien joue une fonction de tiers contenant. Il offre un espace d’élaboration des pertes, soutient la mise en sens des affects, et accompagne le passage d’un lien conjugal désinvesti vers une parentalité symbolisée.

Cette position ne vise pas à réconcilier les adultes, mais à restaurer des modalités d’échange où chacun peut reconnaître l’autre comme co-parent, porteur d’une fonction essentielle dans l’économie psychique de l’enfant.

Conclusion clinique

Ce que je vois en séance, ce sont des familles en transition, traversées par des mouvements profonds — parfois blessées, souvent désorganisées, mais jamais figées. Mon rôle consiste à accueillir cette complexité, à contenir les projections, et à soutenir l’émergence d’un nouvel espace parental.

La psychanalyse ne propose pas de solution technique, mais elle permet de lire les fantômes relationnels, les scénarios œdipiens réactivés, les peurs d’abandon et les luttes narcissiques qui rejouent leur partition dans le présent. Elle ouvre la voie à une coparentalité vivante, capable de se recomposer hors du champ du conflit.

Pour que l’enfant ne devienne pas le témoin du conflit, mais reste au cœur du soin et du lien, il importe de maintenir un espace psychique partagé, où chaque parent peut continuer d’exister — non dans la douleur de la séparation, mais dans la responsabilité d’un avenir à construire.