Intelligence artificielle et soin psychique
Une rencontre à interroger
L’intelligence artificielle ne pénètre pas le champ du soin psychique avec fracas. Elle s’y introduit doucement, par les usages quotidiens, les interfaces mobiles, les outils conversationnels. Elle devient présence sans corps, voix sans souffle, savoir sans regard. Ce déplacement — discret mais décisif — questionne la nature même de l’adresse thérapeutique.
Traditionnellement, le soin psychique s’ancre dans la parole partagée, dans la construction d’un espace relationnel lent, incarné, fait d’attente, de transfert, d’accueils silencieux. Le dispositif numérique, quant à lui, propose l’immédiateté, la disponibilité permanente, la réponse algorithmique. Peut-on encore parler de rencontre lorsque l’interlocuteur ne doute pas, ne s’absente pas, ne rêve pas ?
L’IA offre pourtant des apports indéniables. Elle propose un soutien aux personnes en détresse, parfois à des horaires où aucun clinicien n’est joignable. Elle permet un suivi personnalisé, adaptatif, basé sur des données physiologiques et comportementales. Elle identifie des vulnérabilités précoces et oriente les patients vers des ressources utiles. Dans certains contextes, elle agit comme levier d’inclusion, réduisant les distances géographiques et sociales.
Mais à ce potentiel s’adosse une série de préoccupations éthiques et cliniques. Les données psychiques sont parmi les plus sensibles : qu’advient-il de leur confidentialité lorsque celles-ci transitent par des serveurs, des clouds, des modèles probabilistes ? Les algorithmes sont entraînés sur des corpus historiques, souvent biaisés — quelles subjectivités risquent d’être mal interprétées, sous-diagnostiquées, invisibilisées ?
Prenons l’exemple de Clara, 31 ans, sujette à des épisodes anxiodépressifs. Un agent conversationnel l’accompagne au quotidien : il lui propose des exercices de respiration, détecte ses fluctuations d’humeur, l’incite à se confier. Clara décrit une forme de soulagement… mais aussi une sensation étrange de solitude augmentée. Elle parle de « dialogue sans chair », d’une écoute qui ne lui renvoie ni regard, ni altérité, ni tremblement.
Ce que l’on appelle « soin » ne se résume pas à l’efficience. Il engage une rencontre subjective, une traversée des mots et des silences. Il suppose l’existence d’un autre vulnérable, faillible, capable d’accueillir sans résoudre, de contenir sans corriger. Une intelligence artificielle, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut offrir cela. Elle peut accompagner, soutenir, prévenir — mais elle ne peut incarner la présence humaine qui fonde le cadre clinique.
Ainsi, loin d’opposer humanité et technologie, il s’agit de penser leur articulation. L’IA peut devenir un allié précieux, à condition de ne jamais se substituer à l’écoute singulière du clinicien. Le soin, en dernière instance, demeure un espace d’altérité et de temporalité partagée — un lieu où quelque chose advient, non par traitement, mais par lien.