L’hypersensibilité
Une réflexion au service des patients
Dans ma pratique de psychologue clinicienne, le terme d’hypersensibilité émerge fréquemment dans les récits de mes patients. Beaucoup s’identifient eux-mêmes comme « hypersensibles », souvent à travers un autodiagnostic spontané. Ce mot, bien que communément employé, a des significations diverses et peut remplir plusieurs fonctions.
Loin d’être une étiquette pathologique ou un symptôme clinique, l’hypersensibilité est pour moi un indicateur précieux, une porte d’entrée pour explorer ce qui, chez le patient, se manifeste en termes d’anxiété ou d’angoisse.
Au-delà d’un diagnostic ressenti
Lorsqu’un patient me dit être hypersensible, cela traduit souvent un débordement émotionnel ou sensoriel qu’il ne parvient pas encore à définir précisément. Mais ce ressenti intense n’est ni un diagnostic médical ni un signe d’intelligence supérieure. C’est une expression singulière de son vécu, révélant une manière particulière de percevoir et de réagir au monde.
Mon travail consiste alors à aller au-delà de cette affirmation pour comprendre ce que l’hypersensibilité signifie dans son histoire personnelle. Est-ce une hypersensorialité, où le bruit, la lumière ou le toucher deviennent envahissants ? Ou bien est-ce une intensité émotionnelle liée à des souvenirs ou des situations vécues ? Certains patients expriment cette hypersensibilité par une forte capacité à verbaliser leurs émotions, tandis que d’autres, marqués par l’alexithymie, traduisent leur ressenti par des manifestations somatiques ou un retrait émotionnel. Chacun est hypersensible à sa manière.
L’anxiété et l’angoisse : deux visages d’une même souffrance
Dans ce cadre, il est essentiel de distinguer anxiété et angoisse, deux émotions souvent associées à l’hypersensibilité. L’anxiété est une inquiétude diffuse, orientée vers l’avenir et marquée par une sensation d’alerte constante. L’angoisse, en revanche, se manifeste de manière plus brute, souvent au niveau somatique, avec des sensations d’oppression ou de menace imminente. Ces deux formes de souffrance, bien qu’elles se chevauchent, nécessitent une prise en charge différente. L’hypersensibilité agit ici comme une sorte de « senseur psychologique », signalant au patient qu’un point de tension demande une attention particulière.
Une exploration riche et nuancée
L’hypersensibilité n’est pas un concept uniforme. Certains patients se concentrent sur des sensations physiques – la proximité de certaines personnes, des sons stridents, ou encore des textures désagréables. D’autres ressentent une grande agitation intérieure, nourrie par des ruminations ou une hyper intellectualisation. Cette diversité reflète la richesse de ce concept, qui mérite d’être exploré au cas par cas.
À titre d’exemple : * Clara ressent une surcharge sensorielle dans des environnements bruyants, comme un supermarché bondé. * Antoine, au contraire, est submergé par des ruminations incessantes après des conversations, ce qui nourrit son anxiété sociale. * Sofia, enfin, incapable de verbaliser ses émotions, exprime son hypersensibilité par des douleurs corporelles inexpliquées.
Ces témoignages illustrent que l’hypersensibilité est un phénomène multiforme, enraciné dans l’expérience individuelle de chacun.
L’accompagnement psychologique : Faire sens de l’hypersensibilité
Dans l’accompagnement thérapeutique, je considère que l’hypersensibilité n’est pas une finalité en soi, mais un point de départ. Mon rôle est de décrypter avec le patient ce que cette sensibilité accrue révèle de ses mécanismes d’adaptation, de son anxiété ou de son angoisse. En d’autres termes, l’hypersensibilité agit comme un signal, un langage que le psychologue aide à traduire.
Ce travail consiste notamment à : * Identifier les déclencheurs émotionnels ou sensoriels propres au patient. * Apaiser le ressenti d’envahissement à travers des techniques comme la pleine conscience, la respiration profonde ou des exercices de relaxation. * Donner un cadre à cette sensibilité en lui attribuant une fonction et un sens adaptés à l’histoire personnelle du patient.
Entre science et introspection
Les recherches sur les « Highly Sensitive People » (HSP) menées par Elaine Aron ont montré que l’hypersensibilité est souvent associée à une hyperactivation neurologique, notamment au niveau de l’amygdale, responsable de la régulation des émotions (Aron, The Highly Sensitive Person, 1996). Ces données fournissent un éclairage scientifique précieux, mais elles ne doivent pas occulter la singularité de chaque expérience.
Enfin, des auteurs comme Thomas d’Ansembourg (Cessez d’être gentil, soyez vrai) invitent à dépasser l’étiquette de l’hypersensibilité pour revenir à l’action et à l’authenticité émotionnelle, une perspective qui, bien qu’intéressante, mérite d’être intégrée avec subtilité dans l’accompagnement psychologique.
Conclusion
L’hypersensibilité n’est pas une faiblesse ni une pathologie ; c’est une caractéristique humaine riche et complexe. Pour le psychologue, elle est une clé précieuse permettant de comprendre et d’accompagner les formes spécifiques d’anxiété et d’angoisse vécues par le patient.
Ce travail de mise en sens, à travers une écoute attentive et un cadre thérapeutique structurant, permet au patient de transformer cette sensibilité parfois écrasante en une ressource qui éclaire son fonctionnement, sa perception de soi et sa relation aux autres.
Références:
- Aron, E. N. (1996). The Highly Sensitive Person: How to Thrive When the World Overwhelms You. New York, NY: Broadway Books.
- d’Ansembourg, T. (2001). Cessez d’être gentil, soyez vrai : Être avec les autres en restant soi-même. Paris: Les Éditions de l’Homme.