Burn-out : une lecture clinique
Entre épuisement et effondrement subjectif
Le terme “burn-out” s’est largement diffusé dans les discours contemporains, médical, médiatique et managérial. Il désigne un état d’épuisement physique, émotionnel et psychique en lien avec une surcharge professionnelle ou relationnelle prolongée. Pourtant, ce terme, issu des sciences sociales, reste controversé dans les cercles psychanalytiques où l’on préfère penser en termes de effondrement narcissique, fatigue d’être soi, ou crise du sens. Au-delà du mot, c’est le vécu subjectif qui intéresse le clinicien : celui d’un corps vidé, d’un désir en berne, d’une parole empêchée.
Dans la pratique clinique, on observe que le burn-out n’est jamais uniforme. Il ne se manifeste pas comme une entité figée, mais comme une constellation de signes traversés par l’histoire du sujet. Il ne s’agit pas simplement d’un surmenage ou d’un stress chronique, mais d’un point de rupture dans le rapport à soi, aux autres, au monde du travail — et parfois, à l’idéal qui structurait le sujet.
Julien, cadre supérieur de 42 ans, décrit son quotidien comme une course sans fin. Il dit en séance : “Je coche toutes les cases, mais je ne ressens plus rien. Même mon fils, je le regarde comme si c’était le fils de quelqu’un d’autre.” Ce témoignage traduit une désaffectation profonde, une déliaison entre les gestes du quotidien et l’investissement psychique. Le sujet est là, il agit, mais il ne s’éprouve plus.
Claire, infirmière, consulte après un arrêt de travail prolongé. Elle raconte : “Je donnais tout. Puis un matin, je n’ai pas pu me lever. Comme si mon corps décidait de dire non à ma place.” Ce retrait brutal du corps, ce symptôme somatique, témoigne souvent d’un conflit entre l’idéal du moi — la volonté de répondre à une image parfaite, disponible, dévouée — et les limites réelles du sujet. Le burn-out survient alors comme une chute du narcissisme, un effondrement de l’image que l’on avait construite de soi.
Dans une lecture psychanalytique, le burn-out peut être envisagé comme une mise en crise du narcissisme primaire : ce socle précoce sur lequel le sujet s’est appuyé pour se sentir existant, reconnu, aimable. Lorsque les gratifications extérieures s’effondrent — échecs professionnels, conflits, sentiment d’inutilité — le sujet se retrouve face à un vide, un creux intérieur que l’activité comblait jusque-là.
Par ailleurs, les enjeux de répétition sont souvent présents. Certains patients, dans une logique inconsciente, reproduisent des scénarios d’abandon, de sacrifice ou d’effacement déjà présents dans leur histoire infantile. Ils s’épuisent à satisfaire un Autre — hiérarchique, familial, imaginaire — au prix de leur propre intégrité.
Marc, jeune professeur, évoque un rapport tyrannique à son travail : “Je ne peux pas dire non, je dois être là pour mes élèves, comme ma mère qui se rendait toujours disponible pour mon père, même quand elle allait mal.” L’histoire familiale affleure dans le discours. Le symptôme ne parle pas seulement du travail, mais d’un scénario plus ancien, où le désir de l’Autre prime sur le désir propre.
Le travail thérapeutique vise ici à réintroduire de la parole là où le corps s’est mis à crier. Il s’agit de permettre au sujet de reprendre possession de son espace psychique, de son rythme, de ses limites. La psychanalyse n’offre pas de protocole standardisé, mais un cadre dans lequel le symptôme peut être entendu comme message — non pour être éradiqué, mais pour être élaboré.
La singularité de chaque burn-out invite à ne pas poser de diagnostic figé, mais à entendre ce que ce vacillement du corps et du psychisme dit du sujet, de son rapport au désir, à l’idéal, et à son histoire.